Le Fruit des colonies
Bananaland
2019

Participation à l’exposition Inscriptions en relation, organisée par Civic City, sous le thème du "Colonialisme". Elle se déroulait au Palais de la Porte dorée, à Paris.
Ce projet de groupe était pour nous l’occasion de mener une enquête sur notre accès aux denrées importées de pays étrangers dans l’enceinte du supermarché.
Comment nous sommes garantis l’accès à ces denrées?
Comment sont-elles parvenues jusqu’à nous ?
Sont-elles issues d’un commerce équitable ou sont-elles le fruit du colonialisme ?
Notre analyse s'est rapidement tournée vers la banane étant le fruit le plus consommé au monde.
Dans ces prises de vues, nous avons pu nous servir de la banane comme médium expressif.
Pour retranscrire la mémoire de son nom d'origine d'où elle est issue ou pour véhiculer des pensées engagées, nous avons expérimenter la gravure, la gravure laser et la sculpture sur le fruit.
Nos recherches sur la banane nous on amener à des faits historiques sans précédent. Ce qui a représenter un tournant majeur dans notre projet.
Bananaland
Caricature du logo de la firme internationale Chiquita
En 1871, l’américain Henri Meiggs envoie son neveu Minor Keith, le roi sans couronne, en Amérique centrale afin d’y construire un chemin de fer. Deux ans plus tard, le Costa Rica n’a plus les moyens de financer le projet. Minor Keith scelle alors un accord avec le pays : il finit le chemin de fer à son compte et en échange, il obtient une concession exclusive du chemin de fer ainsi que de nombreuses terres. Ayant fait planter des bananiers le long du chantier afin de nourrir les travailleurs, il décide d’allier transport et plantations. Et c’est ainsi que, 40 km de voies ferrées et 4 000 travailleurs décédés plus tard, débute la formidable histoire de la United Fruit Company.

Occupant de plus en plus de terres et produisant de plus en plus, la Pieuvre s’étend jusqu’en Colombie, à Cuba, en Jamaïque, au Nicaragua, au Panama, au Guatemala et à Saint-Domingue. Elle joue sur les prix de ses bananes, forçant les petits producteurs à leur vendre leurs parcelles ou leur production. Ceux qui persistent seront éliminés par la maîtrise des tarifs de transport sur les voies ferrées. Qu’importe le gouvernement se placera qui se placera en travers de son chemin, devra faire face à des menaces de délocalisation.
Bananaland devient un territoire qui, repoussant toutes frontières, possède son propre code du travail, est exempte de toute forme d’impôt et dicte une culture de l’enclave. À Bananaland, nous mangeons, nous travaillons et nous dormons ; tout cela dans une folle culture ségrégationniste. Osez vous rebellez et vous devrez affronter non plus la sécurité de la compagnie, mais l’armée. En 1928, des milliers de grévistes venus demander notamment de percevoir un salaire et non plus des coupons valables dans les magasins de la firme, sont tués par l’armée colombienne. Officiellement, le nombre de mort s’élève à 47; officieusement, il avoisinerait plutôt les 3 000. La corruption n’est-elle pas un formidable outil?
En 1929, à la mort du fondateur de la compagnie, Samuel Zemurray reprend le flambeau. Il fait entrer la firme dans une nouvelle aire et la transforme en une puissance coloniale sans précédent.

United Fruit Company occupe un rôle majeur de premier plan dans la politique de l’Amérique centrale, mais aussi dans le gouvernement américain. Son pouvoir est tel qu’il est comparé à celui de l’ambassade des États-Unis et des gouvernements. Capable de renverser un pouvoir pour arriver à ses fins, la firme n’a plus aucune limite. En 1951, Jacobo Arbenz est élu président du Guatemala, après s’être battu pour renverser le dernier dictateur au début des années 40. Parmi les réformes que le nouveau chef d’État veut mettre en place, l’expropriation des terres inutilisées effraye énormément la compagnie. Jouant sur la peur du communisme en cette période de guerre froide, elle s’allie à la CIA, et fournit des armes aux rebelles de Carlos Castillo Armas. Le coup d’État fera 100 000 victimes et un million de déplacés. Main dans la main, UFCO et CIA parviennent à faire démissionner Jacobo Arbenz.
Pour continuer le récit de la United Fruit Compagny, il semble nécessaire d’aborder l’événement qui semble incarner une forme de repentance.
En 1989, la United Fruit Company devient Chiquita Brands International. Revenir à zéro, faire oublier les controverses attachées à son nom ? Très bien. Mais chassez le naturel et il revient au galop. Moins de dix ans plus tard, l’incroyable firme revient faire parler d’elle. Accusée d’avoir financé le groupe paramilitaire colombien Autodefensas Unidas de Colombia; responsable soit dit en passant de milliers de meurtres, de viols et de disparitions ; elle plaide coupable en 2007 et signe un accord à l’amiable avec la justice étasunienne. L’amende s’élève à 25 millions de dollars, pour avoir financé un groupe terroriste entre 1997 et 2004, en échange de non-poursuites envers les dirigeants.

Et voilà comment, après le massacre des bananeraies, le coup d’État de 1954, des années de bouleversements politiques, plus de 50 ans de cycles de violences et de révolutions en Amérique centrale ; dont elle ne s’est toujours pas relevée; après avoir freiné le développement de nombreux pays dont la structure était encore très fragile, et enfin après le financement d’un groupe terroriste pendant huit ans, la plus formidable des multinationales de l’agroalimentaire ne sera jamais poursuivie pour complicité de crime(s) contre l’humanité.
Bon appétit ! 
Exposition au Palais de la Porte dorée, à Paris.
Le Fruit des colonies
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